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"Un homme ordinaire / M6"
Cinéma

Pourquoi l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès fascine-t-elle autant ?

La chaîne M6 diffuse ce soir le deuxième épisode de sa saga intitulée Un homme ordinaire, qui s’inspire du fait divers le plus suivi de ces dernières années : l’histoire de la famille Dupont de Ligonnès.

Article publié initialement le 15 septembre 2020

Ce mardi 22 septembre à 21h, M6 diffuse le deuxième épisode de sa mini série inspirée de l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès (« XDDL » pour les intimes). Elle sera diffusée tous les mardis soirs pendant encore trois semaines. Chez Rockie, on a pu la visionner en avant-première, ce qui nous a amené à nous poser cette question : serait-ce la fiction de trop ?

Un homme ordinaire, la vie romancée de Xavier Dupont de Ligonnès

Dans la série diffusée sur M6, Christophe de Saline décide de tuer sa femme, ses quatre enfants et ses deux chiens dans leur sommeil, avant de les enterrer sous un abri de jardin et de disparaitre sans laisser de traces.

S’ensuit une traque de la part de la police, fouillant dans la vie du présumé coupable, dans le but de comprendre son mobile, de le retrouver et de le confronter à ses crimes.

Mais la police n’est pas la seule sur le coup : une hackeuse décide de se passionner pour l’enquête, fournissant elle aussi des preuves aux enquêteurs, si passionnée qu’elle met sa vie entre parenthèses, subjuguée par le meurtrier.

Tout ça vous semble familier ? Oui, c’est à peu de choses près la même histoire que celle du fait divers qui a secoué le pays puis le monde entier, celle de la famille Dupont de Ligonnès. Pour rappel, Agnès Dupont de Ligonnès et ses quatre enfants ont été assassinés à Nantes en avril 2011, et le principal suspect, Xavier Dupont de Ligonnès, n’a jamais été retrouvé.

Actuellement, l’enquête n’est toujours pas résolue et l’histoire fascine toujours autant. Le magazine Society a d’ailleurs publié deux numéros spéciaux cet été qui se sont arrachés à une vitesse folle, les obligeant à réimprimer des exemplaires tant l’histoire tragique de cette famille subjugue toujours autant les foules.

Mais pourquoi cette histoire attire-t-elle toujours autant, des années après les faits ? Qu’est-ce que cette fascination dit de nous, spectateurs de l’horreur ?

Marie Lafond, psychologue et contributrice régulière de Rockie, nous apporte des pistes de réflexions quant à notre attrait pour ces faits divers sordides :

Être fasciné par les faits divers et les histoires de meurtres ne veut pas dire que l’on excuse les auteurs de ces crimes. Mais beaucoup sont attirés par ces histoires qui nous tiennent en haleine autant qu’elles fascinent. Parfois on déteste quelque chose autant qu’on l’idéalise, on aime une douleur autant qu’on la déteste.

Suivant les raisons qui nous poussent à nous intéresser à ces récits, une partie de nous est mise en lumière. Par exemple, on peut avoir envie de se confronter à ces histoires comme pour se tenir prêt à réagir si jamais cela nous arrivait un jour. Cela peut être représentatif d’un tempérament plutôt anxieux, qui nous pousse à mieux comprendre le monde autour de nous pour pouvoir l’anticiper.

Au contraire, certaines personnes peuvent s’intéresser à ces histoires pour ressentir une sensation de peur contrôlée, comme lorsque l’on regarde un film d’horreur ou que l’on saute à l’élastique.

Cette fascination montre quelle fonction remplissent pour nous les faits divers. Elle en dit long sur notre manière de gérer nos émotions et sur notre rapport au monde.

Xavier Dupont de Ligonnès, une nouvelle icône de la pop culture ?

Que ce soit avec l’enquête Society qui s’est vendue comme des petits pains, ou bien le nombre de téléspectateurs enregistrés à chaque fois qu’une fiction traite du sujet (363.000 téléspectateurs pour le numéro de Chroniques criminelles diffusé le 5 septembre dernier), on ne peut que constater que cette affaire déchaîne les foules. Mais est-ce au détriment de la réalité ? Est-ce qu’on oublie malgré nous que cette histoire est vraie, qu’elle n’est pas qu’une fiction, et que les victimes ont bel et bien existé ?

Marie Lafond rappelle :

Le public est souvent conscient de la réalité horrible que relatent les faits divers. Mais ces histoires ont aussi une fonction symbolique. Elles permettent à chacun de se rassurer sur sa propre réalité et deviennent donc des objets idéalisés ou dramatisés suivant la fonction qu’ils remplissent.

L’histoire s’éloigne donc ainsi peu à peu de la réalité des faits pour coller à la fonction qui lui est assignée. Elle n’a donc plus rien de réel. Considérer les faits divers comme des fictions peut aussi être un moyen de se protéger d’une réalité trop violente ou trop angoissante.

Avec la série de M6 qui est attendue par les téléspectateurs, ou bien les numéros spéciaux du magazine qui ont cartonné, il est clair qu’il y a véritable engouement autour de ce fait divers. Mais il ne faudrait pas oublier la réalité de l’histoire : cinq personnes ont été sauvagement assassinées, et le tueur court toujours. Voici les faits. Peut-on être passionnés par cette histoire sans oublier le drame qui en découle ?

Marie Lafond nous précise :

Il est nécessaire de garder à l’esprit qu’il s’agit d’histoires réelles qui peuvent tous nous concerner, quel que soit notre environnement ou notre classe sociale, pour ne pas qu’elles deviennent des symboles de peur facilement manipulables.

Xavier Dupont de Ligonnès reste introuvable, mais pourtant il est partout, même dans une série documentaire hébergée par la plateforme Netflix intitulée Unsolved Mysteries, faisant voyager ce faits divers français jusqu’à l’international. Son visage et son histoire sont connus de tous, mais qu’en est-il des victimes, et de ceux qui continuent à les pleurer ?

Dans un article du Parisien, l’un de co-auteurs de l’enquête publiée Society avait déclaré, au sujet de l’engouement qu’avait suscité le magazine à sa sortie :

Toute cette frénésie fait plaisir, évidemment, mais c’est un peu démesuré.

La mesure, c’est là toute l’ambivalence de cette affaire et de la passion qu’elle suscite. Xavier Dupont de Ligonnès est devenu une sorte d’icône, celui qui a commis le crime parfait, celui qu’on ne retrouve pas depuis tant d’années, celui qui incarne la folie meurtrière, lui qui semblait être le père de famille bien sous tous rapports, le parfait citoyen, avant que le vernis ne craque et qu’on découvre, au fil de l’enquête, d’autres facettes de sa personnalité.

Un homme ordinaire sur M6, la série de trop ?

C’est la question que l’on peut légitimement se poser après avoir vu les épisodes de cette nouvelle série librement inspirée de la vie du suspect numéro un. Outre le fait qu’elle ne soit pas un chef-d’œuvre cinématographique, elle laisse un arrière-goût de voyeurisme dérangeant, celui qui peut nous faire dire que oui, cette fois, la limite est atteinte.

Dans les numéros de Society, c’est une enquête journalistique et policière qui était contée. Du factuel, du concret, sans laisser de place à l’interprétation douteuse, sans enjoliver l’histoire, juste les faits.

Dans cette nouvelle série M6, c’est quelque peu différent. Même si le personnage de Christophe de Salin ne donne pas envie d’avoir une quelconque empathie pour lui – il est présenté immédiatement comme un être toxique et n’est pas « glamourisé » – le fait de le voir tuer sa famille peut donner l’impression de regarder ce que nous n’aurions pas dû voir. Le voyeurisme que l’on peut tous avoir avec cette histoire atteint son paroxysme et il est dérangeant : c’est clairement la fiction de trop.

Marie Lafond développe ce point :

Il y a une part de voyeurisme qui est à l’œuvre, qui permet aussi de se dissocier des personnes impliquées et donc de se rassurer : cela leur est arrivé à eux, pas à moi car je suis en sécurité. Face à la peur que suscitent ces évènements, nous avons besoin de produire du sens pour que le monde ne soit plus source d’incertitudes et d’angoisses.

Xavier Dupont de Ligonnès, le nouveau Ted Bundy ?

La comparaison peut vous sembler douteuse, pourtant Ted Bundy et XDDL ont deux points communs : ils sont des meurtriers, et ils passionnent les foules.

Ted Bundy, qui avait enlevé, violé et tué plusieurs dizaines de femmes dans les années 1980, avait eu le droit lui aussi à sa série sur Netflix : Conversations with a Killer: The Ted Bundy Tapes. Suite à la diffusion du documentaire, l’engouement des fans à propos du physique « avantageux » du meurtrier avait été si grand que Netflix avait dû faire une mise au point sur son compte Twitter :

Traduction : « Nous avons vu passer énormément de conversations sur le prétendu sex-appeal de Ted Bundy et souhaitons gentiment vous préciser qu’il y a littéralement des MILLIERS d’hommes sexy sur Netflix – dont la majorité n’est pas coupable de meurtres en série. »

Dans ce documentaire, qui n’enjolivait rien de la vraie personnalité monstrueuse de Ted Bundy, les spectateurs avaient pourtant développé une certaine fascination pour le charisme et la personnalité du meurtrier.

Un film avait également vu le jour sur Netflix, intitulé Extremely Wicked, Shockingly Evil and Vile, mettant en scène de manière romancée l’histoire d’amour entre Ted Bundy et sa conjointe, rendant le tueur plus « humain », plus « sympathique », plus « excusable ».

La même chose pourrait-elle se produire pour Xavier Dupont de Ligonnès ? La fascination qu’il suscite auprès d’un grand nombre de gens, pourrait-il lui permettre d’avoir des personnes qui le soutiennent, qui le comprennent, qui l’excusent ? Décrit comme un bon père de famille, aurait-il le droit à une seconde chance s’il était retrouvé un jour ?

Cet engouement pour Xavier Dupont de Ligonnès peut être compréhensible. On aimerait tous connaître son mobile, découvrir les raisons qui ont pu le pousser à passer à l’acte. On aimerait voir la justice le punir pour ses crimes, on aimerait savoir comment il a pu faire pour disparaître tout ce temps, surtout dans un monde où l’information circule à une vitesse folle. Cette curiosité est normale.

Mais le fait que cet homme ait réussi à passer entre les mailles du filet et qu’il ait pu accomplir ces meurtres sans être incriminé ne doit pas le faire passer pour une icône populaire. Il n’a pas braqué une banque, ce n’est pas un petit criminel, ce n’est pas un dealer de drogues, ce n’est pas un simple arnaqueur : c’est un assassin probable.

Marie Lafond rajoute :

Il n’y a rien de grave tant que cet intérêt ne devient pas envahissant et n’a pas un impact sur notre fonctionnement au quotidien. Une distance et un recul sont à conserver pour ne pas entrer dans une fascination qui nous pousserait à admirer les actes criminels plutôt qu’à essayer de les comprendre.

Le glorifier et le rendre populaire ne rendra pas ses crimes moins graves, mais ça contribuera seulement à le rendre plus humain auprès de l’opinion populaire, si un jour il est retrouvé. Lui accorder cette importance, c’est contribuer à oublier ses victimes. L’intérêt que l’on peut porter à cette affaire ne doit pas devenir irrationnel et disproportionné.


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