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Travail

Pourquoi je ne suis plus « pro-télétravail » à 100%

Mymy n’est pas CONTRE le télétravail, mais elle a revu ses opinions sur ce qui lui paraissait autrefois être LA meilleure façon de bosser. Voici ses réflexions !

Avec le confinement lié à la pandémie de coronavirus (Covid-19), un grand nombre de Français et Françaises ont expérimenté, souvent pour la première fois, le télétravail longue durée.

Et comme nous sommes à l’heure du déconfinement, la question se pose : bosser à distance, est-ce la panacée ? Est-ce stupide de s’entasser dans des bureaux alors que nous pouvons accomplir notre boulot depuis le confort de notre foyer ? Pollue-t-on pour rien en déplaçant les masses dans des locaux pro ? Détricote-t-on le tissu social des villes en réservant ces espaces à un usage limité « aux horaires ouvrables » plutôt que d’y loger des gens ?

Est-il temps de repenser notre système afin de généraliser le télétravail partout où il est possible ?

Mon rapport positif au télétravail

À la base, je suis très favorable au télétravail.

Contrairement à beaucoup de mes concitoyens et concitoyennes, je n’ai pas découvert la chose avec ce confinement : parmi mes 8 ans chez madmoiZelle, j’en ai passé presque 2 en télétravail depuis Lyon. Je venais à Paris 2×3 jours par mois, afin de voir mes collègues et de régler ce qui ne pouvait pas l’être à distance.

Ce n’est que quand je suis devenue rédac chef adjointe que je me suis retrouvée forcée de « monter à la capitale » —  manager une équipe ne peut que difficilement se faire en remote.

J’ai savouré ces 2 ans plus que de raison : mon loyer pas cher, mon absence totale de transports (en commun ou personnels) à gérer, le bonheur de me lever à 8h45 pour commencer à 9h, de ne pas avoir à calculer « Attends je sors du taf donc je dois repasser chez moi poser mon ordi et me changer pour ressortir »… À plein de niveaux, cette organisation était pour moi un immense confort.

J’étais 100% « pro-télétravail », et dans ma nouvelle place de rédac chef, je m’applique à le rendre possible à chaque fois que ça arrange l’une ou l’autre de mes rédactrices : franchement, on bosse sur Internet, je m’en fous un peu que tel jour tu sois chez toi pour attendre qu’on te livre une machine à laver, ou que tu partes 2 jours plus tôt chez tes parents pour profiter d’un covoiturage pas cher.

Pourtant, et même si je n’ai pas spécialement souffert de ce confinement… Eh bien à l’heure où la France se demande si le télétravail ne serait pas LA solution miracle, je me rends compte que mon avis sur le sujet est moins favorable qu’il y a quelques années.

Laisse-moi t’expliquer pourquoi je ne pense plus que le 100% télétravail (dans les domaines où il est possible bien sûr) soit à favoriser absolument.

Le télétravail, ça demande du matériel… et de la place

Dans la 1ère semaine du confinement, mon entreprise s’est organisée pour faire livrer des casques avec micro à toutes celles qui en avaient besoin pour suivre les réunions en visio. Celles qui filmaient des vidéos ou enregistraient des podcasts ont pu récupérer le matériel nécessaire, et quelques recharges 4G ont été indispensables pour pallier les débits Internet aussi pourris que ceux de mon immeuble.

Dans une logique de télétravail longue durée, si madmoiZelle fermait ses locaux physiques demain par exemple, il faudrait nécessairement imaginer plus d’investissement matériel : un vrai bureau chez chaque employée, une chaise moche ergonomique,  etc.

Mais j’ai beau ouvrir mes chakra, je ne me vois pas m’épanouir dans une logique 100% télétravail sans UN changement matériel majeur, à savoir LA PLACE.

Comme beaucoup de gens de nos âges, mes collègues et moi vivons dans de petits apparts ou des colocs. Et même si ma boîte me payait le plus beau des bureaux en bois ancien et la plus sophistiquée des chaises, ça ne changerait rien au fait que tout ça se retrouverait… à soixante centimètres de mon lit, dans mon 25m².

Et moi j’en ai MARRE de bosser à soixante centimètres de mon lit.

« T’as qu’à quitter Paris, banane, vu que tes bureaux n’y sont plus ! », me diras-tu peut-être, et je te répondrai : déjà c’est toi la banane, et en plus… ma vie est ici, figure-toi ! J’y suis venue pour le taf, j’y ai maintenant mes potes, mon mec, mes habitudes, mon quotidien. Je n’ai pas envie d’en partir.

Et je ne suis pas sûre que ça soit un bon calcul pour la petite boîte indépendante qui gère madmoiZelle et Rockie d’augmenter tous nos salaires afin de nous permettre à toutes de choper un 2 pièces (minimum !) dans l’immobilier parisien hyper-saturé, plutôt que de simplement… louer un bureau pour tout le monde.

Le télétravail, ça brouille les frontières pro/perso

Avoir un endroit et des outils dédiés au travail, ça permet de laisser le boulot au bureau et de ne pas l’emporter avec soi, que ce soit mentalement ou physiquement.

Transférer ces outils chez soi, ça peut mener à une séparation plus floue entre « temps de travail » et « temps personnel », donc à faire de plus longues heures, à se rendre dispo (ou être forcée de se rendre dispo…) en permanence y compris en-dehors des horaires, etc.

C’est le risque des journées plus longues, des pauses réduites, et du boulot qui continue à être présent même quand on a fini sa journée.

Selon Marc Dumas et Caroline Ruiller, dans Management & Avenir :

« […] le but du télétravail n’est pas de faire perdre toute notion spatio-temporelle au télétravailleur, mais au contraire de trouver un certain équilibre entre sa vie personnelle et sa vie professionnelle […]

L’envahissement du travail dans la vie personnelle est un phénomène jugé préoccupant par de nombreux spécialistes en raison de la généralisation des TIC [Technologies de l’Information et de la Communication, NDLR] et des exigences de disponibilité qu’elles génèrent pour le salarié (Génin, 2009 ; Ray, 2010).

Les TIC permettent d’être toujours connecté, de rester en contact avec l’environnement professionnel et d’être joignable 24h sur 24h. Elles facilitent le travail hors mur et notamment après la journée de travail.

Les TIC peuvent notamment permettre de gérer l’imprévu et l’urgent. Ceci aurait des effets néfastes sur la santé physique et mentale des individus (stress, fatigue, burnout). »

En somme, il est important que managers comme salariés et salariées fassent preuve de vigilance concernant le temps de travail et la porosité de la frontière pro/perso. Que ça fasse partie d’une réelle politique d’entreprise.

Cela peut être facilité par des outils dédiés : un téléphone et un ordi pro qu’on coupe à la fin de sa journée, par exemple. Mais il faut que la hiérarchie n’abuse pas de la supposée « disponibilité » des équipes ! Et que les potentiels clients et clientes sachent aussi « se tenir ».

J’ai la chance de ne pas avoir eu ce problème (et je te rassure, je n’ai pas forcé la rédac de madmoiZelle à dépasser ses heures), mais je n’ignore pas que c’est une réalité dans beaucoup de boîtes.

Le télétravail, compatible avec la vie de famille ?

D’un côté, le télétravail peut faciliter la vie de famille : moins de transports, plus de présence à la maison, cela peut permettre de passer davantage de temps avec son ou sa conjointe, son ou ses enfant(s).

Mais ce n’est pas forcément aussi facile : une personne en télétravail peut se retrouver à faire « garderie » pour un môme qui l’empêchera de bosser efficacement, accomplissant de fait deux journées de boulot — l’un salarié, l’autre non… sans compter le stress de se diviser entre la parentalité et l’efficacité pro !

De plus, avoir sa famille à la maison pendant qu’on bosse, ça peut vite devenir compliqué pour peu que nos proches ne pigent pas bien le concept de télétravail.

Je l’ai vu avec ma chère daronne, bienveillante à tous les niveaux, mais qui a quand même mis du temps à piger que quand je suis sur mon ordi, ça veut dire que JE SUIS AU TRAVAIL… et que non, je ne peux pas « faire un saut vite fait à la zone commerciale » avec elle à 17h !

Toujours selon Dumas et Ruiller, mon adorable mère est loin d’être un cas isolé :

« Le risque peut venir de la famille qui peut solliciter le télétravailleur durant ces heures de travail à domicile.

Ainsi Mustafa (2012) constate que les télétravailleurs à domicile peuvent vivre un sentiment de déséquilibre en tentant de gérer les exigences de leur travail à côté des attentes de leur famille.

Des répondants signalent que du fait de leur présence au domicile, leur famille a de très fortes attentes à leur égard et les trois quarts des répondants se plaignent que des membres de la famille ne perçoivent pas leur travail comme un véritable travail. »

Le télétravail et les managers en excès de zèle

L’un des sujets qui ont été largement discutés pendant le confinement est l’abus d’outils de « surveillance » des employés et employées en télétravail, notamment via des logiciels « espions ».

Ouest France, s’appuyant sur un article de Bloomberg, explique :

« Par exemple, toutes les 10 minutes, une capture d’écran de l’ordinateur du salarié est réalisée. Chaque site web visité est enregistré, ainsi que tout ce qui est tapé sur le clavier. Le nombre d’e-mails expédiés est également analysé.

D’autres entreprises sont allées jusqu’à imposer à leurs salariés de rester connectés en visioconférence toute la journée, afin de s’assurer qu’ils étaient bien présents à leur poste de travail. Ambiance… »

À noter cependant que :

« Aux États-Unis, mettre en place un tel niveau de surveillance est légal, à condition que le travailleur en soit informé. Ce n’est pas le cas en France, où de telles pratiques sont strictement encadrées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) afin de ne pas porter atteinte à la vie privée. »

Malgré cette protection de la Cnil, un ou une manager trop zélée pourra avoir tendance à « sur-surveiller » ses équipes de peur de les voir glander en télétravail — mettant ainsi une pression injuste sur les employés et employées, en plus d’un climat anxiogène.

Pourtant, comme le rappelle là encore Ouest France, « la productivité augmenterait de 5 à 30% chez les travailleurs français, selon un rapport sur le télétravail commandé par la Direction générale des entreprises ». Alors on se calme, Big Brother !

Le télétravail, la fin de l’esprit d’équipe ?

Chez madmoiZelle, on a un esprit d’équipe vraiment cool, une bonne entente et des moments « hors-boulot » très chouettes. Je sais que ce n’est pas le cas dans toutes les boîtes, loin de là.

Je sais que certaines personnes préfèrent voir leurs collègues le moins possible, ne rien leur révéler de leur vie privée et fuir les afterworks comme la peste. C’est leur droit !

Mais à mon sens, il est important de garder, quand c’est possible, un lien physique entre les employés et employées.

L’union des travailleurs et travailleuses est essentielle ; voir ses collègues en vrai, ça crée du lien et une relation de confiance qui peut mener à des discussions indispensables permettant, par exemple, de se rendre compte qu’on est moins bien payé pour le même poste, que telle décision de la direction n’est pas vraiment dans les clous de la loi ou que non, on n’est pas « trop sensible », c’est bien notre manager qui abuse des gueulantes…

J’ai du mal à imaginer comment, en télétravail, on peut se sentir assez en confiance avec des collègues qu’on n’a jamais vus pour savoir à qui on peut parler librement de problématiques liées au boulot. Isoler les employés et employées ne me semble pas bénéfique.

C’est ce que pointe Alexandre Largier dans Réseaux :

« Dans un sens plus pessimiste, le télétravail est perçu comme un facteur d’isolement de l’individu, limitant les contacts professionnels avec les pairs aux stricts besoins de la coopération et de la coordination.

Certains syndicats craignent que les travailleurs se retrouvent isolés et ne puissent plus compter sur la cohésion et la solidarité des groupes de travail »

Mon télétravail idéal

Tu l’auras compris, j’ai mis un peu d’eau dans mon vin et j’ai aujourd’hui une opinion plus nuancée sur le télétravail.

À mon sens, il devrait inclure une forme de souplesse : l’entreprise devrait garder des bureaux permettant aux équipes de se retrouver physiquement, à l’occasion d’évènements 100% pro (réunions, bilans…) ou un peu plus informels (afterwork, pot de départ…).

Le télétravail devrait être sur la base du volontariat, et il devrait être possible de l’effectuer une partie du temps seulement (2 jours par semaine, 3 semaines par mois, 2 mois sur 3… les possibilités sont vastes !).

Les managers devraient être formés et formées aux spécificités du télétravail, qui demande une organisation dédiée, un effort supplémentaire pour créer du lien humain, une vigilance accrue sur le bien-être des employés ainsi que sur le temps de boulot.

Oui, ça commence à paraître sacrément absurde d’entasser les 20 salariées de madmoiZelle dans des métros pour rejoindre un bureau et y bosser sur Internet, mais pour avoir refait mes 1ères réunions et moments d’équipe physiques depuis le début du confinement… la différence est palpable ! Et je serais vachement triste de me dire « Eh bien voilà, je ne verrai plus mes collègues en vrai, en tout cas pas pendant mes heures de taf ».

C’est la fin de mon pamphlet « pour le télétravail mais avec parcimonie » ! Rendez-vous dans un futur article où je t’expliquerai pourquoi il est totalement con de bosser 5 jours par semaine alors qu’à la fin ON MEURT.


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