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Vie quotidienne

Vis ma vie de jeune femme noire et handicapée

Angie est une lectrice de Rockie qui vit avec des douleurs chroniques. Un handicap qui a des impacts sur de nombreuses facettes de sa vie et qu’elle te raconte avec beaucoup de talent.

Chère Rockie,

J’ai décidé de t’écrire pour te parler un petit peu de moi ou plutôt d’une partie de ce que je suis. Je sais qu’à une période, le fait de découvrir le témoignage d’autres personnes sur ce sujet m’a fait le plus grand bien et je veux apporter ma pierre à l’édifice.

J’ai aussi envie de pouvoir donner aux valides un aperçu de ce qu’il peut se passer dans la tête d’une personne handi, quelques clés de compréhension et peut-être même l’envie d’être un ou une alliée pour des proches à l’avenir.

Quand ma scoliose dégénère et se transforme en douleurs chroniques

Ainsi, comme dit dans le titre, je suis une jeune femme de 25 ans, noire et handicapée. Il y a bientôt un an, une condition physique qui m’accompagnait depuis longtemps —une scoliose— a subitement dégénéré en un tas de désagréments qu’on pourrait mettre dans la case « douleurs chroniques ».

À l’époque, fraîchement diplômée, avec mon nouveau job en poche, j’étais persuadée que ce n’était qu’une phase comme tant d’autres, un léger contre-temps dans mon hyperactivité habituelle.

Je ne me suis donc pas particulièrement inquiétée au départ. J’avais sûrement besoin de repos, ou de faire plus d’exercice, ou de me mettre à la natation, ou de me faire masser, bref tous ces trucs que je faisais déjà, mais plus.

Mais la douleur n’est pas passée, et au fil du temps, il devenait de plus en plus difficile de donner le change et j’ai dû peu à peu réadapter tous les aspects de mon existence.

Précision qui a son importance : tout le monde a un rapport à la douleur très différent, et je ne parle ici que de mon ressenti propre.

Vivre avec des douleurs chroniques

Ce qui fait le caractère pernicieux de la douleur chronique, c’est qu’elle s’installe petit à petit, comme un pote relou qui s’installerait dans le canapé de ton cerveau. Au départ, tu t’adaptes en pensant qu’il va bien finir par partir, tu te bouches les oreilles quand il écoute sa musique à fond et tu te trouves pleins d’activités et de distractions pour t’aider à passer outre.

Ensuite, tu changes de tactique et tu essaies de prendre soin de ton pote (le pauvre, il galère), histoire qu’il puisse reprendre son autonomie et voler de ses propres ailes (si possible loin de toi). Mais un jour, en rentrant, tu te rends compte qu’il a installé ses affaires dans ta chambre, et maintenant c’est toi qui dors sur le canapé.

C’est un peu comme ça que j’ai ressenti l’installation de la douleur chronique dans ma vie. Le pire, ce n’est pas la douleur, mais c’est le fait qu’elle ne s’arrête JAMAIS, au mieux, elle varie. J’ai commencé à perdre du poids, faute d’appétit, et à avoir du mal à dormir.

Troublant ma concentration, la douleur était parfois telle que j’étais incapable de suivre une conversation. La douleur (et bientôt sa pote la souffrance) ont finit par impacter chaque mouvement, chaque action puis chaque pensée pendant que moi, ou ce qu’il en restait, dormais dans le canapé.

Je me suis sentie souvent coupable de ne pas réussir à gérer, de ne pas faire « ce qu’il fallait » pour que cela aille mieux, notamment parce que je ne savais pas de quoi j’avais besoin.

Le regard de l’entourage sur le handicap

Lorsque j’en parlais autour de moi, mes proches et moins proches me servaient d’innombrables conseils et anecdotes, certaines personnes allant même jusqu’à critiquer mes choix thérapeutiques. Lors de périodes d’interrogations, la somme de ces remarques ne faisait qu’accentuer mes doutes et entamer ma confiance en moi. Ma solution a été d’arrêter d’en parler.

Je me permets ici, sachant que c’est un sentiment partagé par beaucoup de personnes en souffrance de faire un petit aparté. Si une personne t’exprime sa souffrance, écoute-la si tu en as la possibilité, ne t’empresse pas de parler d’expériences qui te semblent similaires (c’est rarement le cas) ou de donner des conseils que l’on ne t’a pas demandés.

Si cela peut te donner la sensation de contribuer au bien-être de l’autre ou de montrer ta sympathie, ça peut avoir l’effet complètement inverse, voire être vécu comme une violence.

Lorsque j’ai décidé d’utiliser une aide, en l’occurrence une canne (oui comme Docteur House mais sans les flammes), ce phénomène s’est étendu à un cercle beaucoup plus élargi.

Travaillant dans un lieu où beaucoup de gens circulaient, je me retrouvais parfois face à des inconnus qui venaient m’interroger sur ma pathologie avant même les politesses d’usage (est-ce que je te demande moi la date de ton dernier examen de la prostate ?!).

Au fur et à mesure que ma situation durait, l’empathie s’est transformée en lassitude chez certaines personnes quand elle ne générait pas carrément des discours moralisateurs.

Faire face au validisme et au racisme

Je connaissais déjà ce mélange de colère et de malaise qui m’envahissait à chacune de ces interactions, ce sentiment d’injustice qui gronde d’être ramenée à un aspect visible de sa personne, d’être essentialisée. C’est le même que celui qui m’habite quand une personne me fait une remarque raciste, comme ça, à la volée sans même s’en rendre compte la plupart du temps.

Il m’a fallu de long mois, la découverte de Twitter et d’une communauté de militants pour mettre un mot dessus : le validisme. Le validisme en quelques mots, c’est une forme d’oppression qui s’exerce envers les personnes souffrant de handicap visible ou non.

Comme souvent, c’est une violence qui passe par le fait d’établir une norme de ce que devrait être un humain « normal » excluant ainsi tout ce qui n’y ressemble pas.

Le validisme, c’est une femme dans le bus qui ne veut pas te céder sa place, parce qu’elle pense que tu fait semblant , c’est l’organisation d’un événement dit public mais qui n’a pas songé aux personnes à mobilité réduite, c’est le potentiel employeur qui part du principe que tu n’as pas les capacités requise pour le job même si tu lui affirmes le contraire, etc.

Mes relations avec le milieu médical

Ironiquement, si les gens autour de moi me percevaient comme une personne ayant un handicap, pour le corps médical je demeurai longtemps une sorte d’OVNI. Le sexisme de certains ou certaines professionnelles de santé est délétère pour les patientes et se traduit par des diagnostics tardifs, des remarques déplacées, et un manque d’écoute criant.

Il faut imaginer tout cela, associé à tous les biais médicaux subis par les personnes racisées, et vous obtenez chez moi une certaine anxiété généralisée pour quiconque porte une blouse blanche.

Obtenir une ordonnance pour des analyses poussées ou des anti-douleurs était toujours compliqué. J’ai changé plusieurs fois de médecins, fatiguée d’avoir la sensation de devoir convaincre l’autre, ou de m’entendre dire que c’était simplement psycho-somatique (que l’on soit bien d’accord ça pourrait être le cas, mais en l’occurrence c’est souvent une manière d’invalider les ressentis de l’autre).

Il y a celle qui pose des questions anatomiques précises, scanner à la main, pour vérifier que ton discours concorde avec la réalité avant de faire ton ordonnance pour un kiné. Celui qui s’interroge sur « tes motivations » (toucher une pension et tout claquer dans un yacht est évidemment la réponse).

La plupart du temps, il s’agit de choses plus subtiles dans les questions ou les réponses apportées, qui laissent un goût un peu amer et la sensation de n’avoir une fois de plus pas été entendue.

Trouver des alliés et commencer à accepter son handicap

Aujourd’hui, je suis toujours handicapée, noire et le monde extérieur n’a pas beaucoup bougé. Mais à l’intérieur, c’est tout l’appartement qui est en travaux. J’y ai cependant trouvé des alliés, parfois de façon surprenante et toujours avec grand soulagement. J’ai obtenu plus de réponses concernant ma santé et des pistes à explorer.

J’ai aussi décidé de prendre un peu de temps pour digérer l’année écoulée, me laisser le temps de m’adapter à tous ces changements (ce n’est ici qu’un aperçu) et me soigner. Je gère la douleur différemment, j’ai cessé de m’excuser de mon état ou au contraire de me prendre pour une usurpatrice et je commence à l’accepter.

J’ai appris à refuser les conseils, et à ne pas me sentir obliger de dévoiler mon intimité sous prétexte que ce n’est pas poli de refuser, à dire non aux bonnes intentions. J’ai toujours du mal à dormir la veille d’aller voir un soignant, mais je me suis créé des petits rituels cools pour apaiser l’angoisse avant et après.

Ce témoignage t’a interpellé·e ? Tu es concerné·e par le sujet du handicap et des douleurs chroniques ? Viens en parler dans les commentaires !

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